A l’oblation que le Christ n’a jamais cessé de faire de lui-même, Marie s’est unie plus que personne dans le cours de sa vie terrestre, depuis l’instant où elle a compris qu’elle devait donner le jour au Sauveur, à Bethléem, lors de la Présentation de Jésus au temple en entendant les paroles du vieillard Siméon, pendant la fuite en Egypte, dans le silence de la maison de Nazareth, plus tard en voyant les difficultés croissantes du ministère de Jésus, l’acharnement des pharisiens, et surtout au pied de la Croix.
Elle a offert son Fils pendant qu’il s’offrait pour nous ; elle s’est offerte avec lui, en méritant ainsi pour nous au sens large du mot mérite (de congruo) tout ce qu’il méritait au sens strict (de condigno).
Marie n’avait rien à expier pour elle, elle était l’immaculée conception, elle avait été préservée de la souillure originelle et ainsi rachetée aussi parfaitement que possible par les mérites futurs de son Fils ; dans la suite, elle n’avait jamais commis la moindre faute ; mais pour nous elle s’est associée aux terribles souffrances, aux humiliations de Jésus, à sa grande œuvre rédemptrice ; elle s’y est associée plus que personne ici-bas, plus que les grands saints, que les Apôtres, que les martyrs, que les stigmatisés, selon la plénitude de grâce et de charité qu’elle avait reçue, au point de mériter les titres de Corédemptrice et de Médiatrice universelle au-dessous de Notre-Seigneur, en lui, avec lui et par lui. Récemment Sa Sainteté Pie XI a voulu consacrer le titre de Marie Réparatrice dans la nouvelle encyclique Mirerentissimus Redemptor, de même qu’il y confirme la doctrine de la Médiatrice universelle de toutes grâces.
Quels aperçus sans limites nous ouvre ce titre de “Marie Réparatrice” ! Pensons à l’intelligence qu’avait Marie du saint sacrifice de la Messe que célébrait devant elle saint Jean. Elle a compris, mieux que personne que ce sacrifice de nos autels perpétue en substance celui de la Croix, en commémorant l’immolation sanglante par l’immolation mystique, qui devait être si expressive pour celle qui ne pouvait rien oublier du drame du Calvaire. Plus que personne, Marie a compris que le Prêtre principal au sacrifice de la Messe, c’est Notre-Seigneur toujours vivant, qui continue de s’offrir, en intercédant pour nous et en nous appliquant le fruit de ses mérites. Marie a vu dans cette continuation de l’oblation intérieure du Rédempteur, toujours vivant au ciel et rendu présent sur l’autel, le point de conjonction du culte d’adoration et d’action de grâces de la patrie avec celui de l’Eglise militante.
A l’immolation mystique de la sainte Messe, Marie unissait celle de son cœur, l’acceptation généreuse de toutes ses peines qu’elle éprouvait en ces temps douloureux de l’Eglise naissante où trois siècles de persécutions commençaient. La Vierge continuait ainsi de s’offrir comme à la Croix, dont elle gardait au fond du cœur un si vif souvenir ; elle s’offrait pour l’extension du règne de son Fils, pour l’apostolat des douze, pour les âmes tentées, pour celles qui étaient grandement éprouvées, pour obtenir la force aux martyrs et leur triomphe sur l’esprit du mal.
Marie a été ainsi jusqu’à sa mort associée à l’œuvre rédemptrice de Jésus, et c’est pourquoi elle a été associée à sa gloire le jour de l’Assomption. Voilà pourquoi elle reste toujours “par lui, avec lui et en lui” la Médiatrice universelle, qui intercède pour nous et nous distribue les grâces dont nous avons besoin à chaque instant, en exauçant la prière, “ora pro nobis nunc et in hora mortis nostræ. Amen”. La grâce du moment présent, nunc, est pour chacun de nous, aux différentes périodes de notre vie, la grâce la plus particulière de toutes ; or depuis des siècles, en chaque instant, des milliers de chrétiens la demandent à Marie et par elle l’obtiennent. Elle est la Médiatrice, non seulement de toutes les catégories de grâces nécessaires aux Apôtres, aux Martyrs, aux Docteurs, aux Confesseurs, aux Vierges, mais de toutes les grâces particulières accordées en chaque instant. Elle est ainsi Médiatrice universelle parce que, Mère de Dieu, elle s’est associée plus que personne à l’oblation de Notre-Seigneur, à l’acte d’amour réparateur qui a sauvé le monde.
R.P. R. Garrigou-Lagrange O.P., septembre 1929